« Nul ne peut se faire justice à soi-même »

Il est inquiétant de voir se multiplier, depuis quelques mois sur le sol français, des affaires concernant des actes d’auto-défense. On parle d’auto-défense ou de justice privée, lorsqu’une personne décide de se faire justice par elle-même, en passant donc outre le droit. Ce type d’acte est une remise en cause de l’Etat de droit et ne peut être défendu ou soutenu, tacitement ou implicitement, par la République et ses représentants. Pourtant, il n’est pas rare de voir les hommes politiques, principalement à droite, s’emparer de ces sordides faits divers à des fins électoralistes. Plus surprenant, le fait de donner de véritables tribunes à ces « justiciers » comme l’a fait le Service public à travers l’émission « Prise Directe » (France 2 le 9 Novembre 2010 intitulée : L’injustice qui fait devenir hors la loi). Manifestations citoyennes de soutien, pétitions, émoi des politiques, amalgame entre les termes d’auto-défense et de légitime défense, tentons de revenir sur ces affaires qui deviennent de véritables supplices pour la justice républicaine, à travers deux d’entre-elles.

« Sa riposte est celle d’un républicain, d’un citoyen » B. Lancar

Le 20 Aout dernier, en direct sur RMC, Benjamin Lancar, président des Jeunes Populaires (organisation des jeunes de l’UMP) déclare « René Galinier avait le droit de riposter […] sa riposte est celle d’un républicain, d’un citoyen ». René Galinier, c’est ce retraité de l’Hérault, qui en Aout 2010 avait tiré « quasiment à bout-touchant » (selon l’expertise balistique) sur deux cambrioleuses (11 et 21 ans) désarmées qui lui tournaient le dos. Il indiquera aux gendarmes, « j’avais peur, je me suis senti en danger avec cette sale race (jeunes d’origine Rom) on ne sait jamais ce qu’il peut arriver. Je suis devenu raciste ». Faire de son acte celui d’un républicain ou d’un citoyen c’est avoir une conception de la république et de la citoyenneté un peu particulière. Cette affaire a laissé remonter chez certains élus leurs instincts les plus primitifs. L’exemple le plus flagrant est celui de Jason Onderwater, conseiller municipal UMP à la jeunesse de la ville de la Béziers, qui a publié sur youtube une vidéo dans laquelle il apporte son soutien au retraité et adresse un appel au président de la république: “ Lâchez les chiens. Les policiers et les gendarmes ont la rage […] donnez carte blanche aux forces de l’ordre »… Je laisse le soin à chacun de juger ces propos ! Le soutien de l’UMP est allé bien au delà, puisque le président du parti présidentiel en personne (X. Bertrand à l’époque) s’est dit « surpris et choqué » par la détention du retraité. L’indignation généralisée de la droite (C. Vaneste, L. Luca…) et de l’extrême droite (FN…) dans cette affaire est le symbole de la volonté accrue des politiques d’interférer dans les décisions de justice. Pour l’UMP la politique du fait divers est devenue une habitude, elle est à chaque fois un moyen d’accroitre son terreau électoral vers sa droite.

Il n’y a pas légitime défense si : « il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte »   Code pénal français

Toute aussi surprenante la décision de France 2 de dédier une émission spéciale à ces personnes qui ont choisi de se faire justice elles-mêmes, en particulier lorsque l’on considère les déclarations de R. Galinier: « avec tout ce qu’il se passe à la télé ça me gonfle, on est obligé de devenir raciste et de se défendre ». C’est dans « Prise directe » que le service public a décidé de donner une tribune pour s’expliquer à Luc Fournier, cafetier à Lavaur (Tarn) qui le 14 décembre 2009 a abattu Jonathan un lycéen de 17 ans qui s’était introduit dans son café durant la nuit avec un complice. Selon « La Dépêche du Midi »  , le cafetier avait prévu la venue des deux cambrioleurs car depuis quelques jours les barreaux d’une fenêtre de son café étaient sciés (la gendarmerie avait d’ailleurs été mise au courant). Ainsi, il a mis en place un piège (tel un chasseur) avec une ficelle tendue entre deux chaises « sur le passage menant au bar et aux cigarettes » : c’est par la chute de celles-ci que l’homme a été alerté et est intervenu fusil en main, tirant une première fois et tuant le lycéen sur le coup puis une deuxième fois dans le vide pendant que le complice s’enfuyait. Selon son avocat, « C’est inconvenant de le considérer comme un délinquant […], c’est un honnête homme de 53 ans, qui a travaillé toute sa vie 15 heures par jour […] c’est un cas de légitime défense ». Une défense des plus éhontées. Pour rappel, selon le code pénal français, article 122-5, il n’y a pas légitime défense, si “’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte”. L’avocat du lycéen quant à lui a déclaré « Nous sommes dans une affaire d’autodéfense et non de légitime défense. L’autodéfense, c’est la volonté de faire justice soi-même. Elle transforme le justiciable en justicier et porte atteinte à l’ordre public institutionnel […] La légitime défense est une réaction immédiate à une situation imprévue. Ce n’est pas le cas. Luc Fournié avait constaté que les barreaux de la fenêtre étaient sciés depuis plusieurs jours et au lieu de les réparer, il a décidé de dormir dans un lit de camp dans la réserve au rez-de-chaussée avec une arme chargée. Il n’a pas été surpris, il les attendait ». Le procès du cafetier aura lieu en 2011. Fin décembre 2010, près de 400 personnes se sont rassemblées à Lavaur pour une marche silencieuse en la mémoire de Jonathan mort il y a maintenant un an. On peut se demander pourquoi le service public s’est épris de ce commerçant au point de lui consacrer un reportage et une interview à une heure de grande écoute. Comme l’affirme Samuel Gontier sur télérama.fr « le titre de l’émission inspirait confiance : « Face à l’injustice, des hommes et des femmes hors la loi. » Je m’attendais à retrouver ces électriciens d’ERDF qui rebranchent des familles démunies à qui on a coupé le courant. Ces instituteurs qui refusent d’appliquer les directives du ministère pour protester contre la disparition des Rased. Ces postiers qui n’acceptent pas d’être transformés en commerciaux. Ces salariés de Pôle emploi qui refusent de dénoncer les étrangers en situation irrégulière. Ou ce papi rescapé du nazisme qui héberge un sans-papiers – vu dans l’excellent documentaire de Paul Moreira, L’Insurrection silencieuse, mais Emmanuel Chain et Béatrice Schönberg ont une autre vision de la désobéissance « . L’Audimat et le sensationnel auraient-ils eu raison de notre idéal de justice républicaine ?

Vers quel idéal de justice veulent-ils nous amener ?

Malheureusement ce type d’histoire n’est plus banal comme on peut le constater avec le meurtre récent d’un supposé voleur de truffes au fusil à pompe par un agriculteur en embuscade. Ceci laisse à réfléchir sur l’ambiance sécuritaire qui règne dans notre pays et ses répercussions dramatiques au quotidien. En instrumentalisant ces drames humains, certains médias et politiques jouent avec les instincts les plus vils de l’être humain, comme la haine ou la vengeance. Vers quel idéal de justice veulent-ils nous amener? La justice ne peut être fondée sur l’émotion, la haine, l’amertume ou la vengeance. La République, depuis 1981, ne reconnaît plus la peine de mort comme un acte de justice. Par ailleurs, quelque soit le délit, celle-ci ne peut être rendue pas des assassins. C’est cet idéal d’une justice plus humaine que nous devons aujourd’hui défendre en n’oubliant jamais que  » Nul ne peut se faire justice à soi-même ».

Matthieu Lépine

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